Célia Houdart , Tout un monde lointain…
- l'angle du ciel
- 30 mai 2018
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 juin 2018

A propos de la Villa E 1027, Eileen Gray disait que « loin de fuir les formules » elle avait voulu « faire entrer le réel dans leur abstraction ». Pour elle, la maison était avant tout un lieu pour vivre.
Dans Tout un monde lointain, Célia Houdart a choisi, à sa façon, de faire entrer le réel dans la Villa de Roquebrune, construite en 1928 par Eileen Gray et Jean Badovici.

Jouer avec les codes
E 1027, le nom de la villa, apparait comme un nom de code, une énigme à décrypter. La réponse, connue des initiés, est dévoilée dans le roman de Célia Houdart : E comme Eileen, 10 (la 10e lettre de l’alphabet) pour le J de Jean, 2 pour le B de Badovici et 7 pour le G de Gray.
Mais dans ce roman, ce n’est pas l’histoire de la villa que Célia Houdart nous révèle. C’est la villa, au contraire, qui va agir comme révélateur de ces énigmatiques occupants.
Composer
La maison apparait par fragment, d’abord un angle de toit vu au détour d’un chemin, puis on la contourne, s’en approche, y pénètre… Parallèlement, des fragments de mémoire reviennent à Gréco, le personnage principal.

Dans Tout un monde lointain, la fascinante réalisation d’Eileen Gray, est un écrin, une boite à souvenir silencieuse, qui va laisser s’échapper, avec parcimonie, des bribes de l’histoire de chacun de ses éphémères habitants.
En architecture comme en littérature, la savante composition de tous les éléments rendra l’ensemble lumineux et cohérent.

Architecture, écriture, les pratiques se font échos.
L’architecture moderne c’est un vocabulaire, une grammaire, qu’Eileen Gray s’approprie avec sa propre syntaxe, sensible et épurée. Pour l’écrivaine Celia Houdart, la villa de Roquebrune est d'évidence le cadre idéal pour accueillir et faire advenir les personnages en mouvement de ce lumineux roman. C'est une transposition littéraire de toutes les intentions d' Eileen Gray.
La perfection du détail
Pour Eileen Gray, c’est par le détail qu’on accède au réel.
C’est sans doute aussi ce que pense Celia Houdart. La façon dont elle décrit un meuble, soulignant que
« tout s’imbrique, tout pivote » nous laisse à penser qu’il en est de même pour ce roman. Tout à l’air assez anodin, une suite de petits riens, mais d’évidence, tout va finir par pivoter et s’imbriquer.

A ce souci du détail cher à Eileen Gray, à cet ajustement de la maison aux gestes du quotidien, à ce sur-mesure aux mouvements du corps, Célia Houdart répond par une écriture tout aussi précise et ajustée.
L’homme moderne est un danseur
Eileen Gray était fascinée par la danse, sa perfection éphémère, sa capacité à n’exister que dans le présent. Pour elle « l’homme moderne et un danseur ».

Tessa et Louison, les squatteurs de la maison, sont aussi deux jeunes danseurs. La villa est pour eux une scène ouverte. Les mouvements y sont libres et fluides, en permanente relation avec les éléments, l’air, la mer, la lumière. C’est le cadre rêvé pour une vie chorégraphiée.
Et comme les lettres entrelacées de ses deux architectes dans E 1027, les personnages vont se croiser, les histoires s’entremêler… Et, Louison, Tessa et Gréco s’y révéler.
Une énigme non résolue…
Une autre architecture apparait en filigrane dans le roman de Célia Houdart.
Esther, une amie de Turin, évoque à chacun de ses appels téléphoniques les aléas du Palais des Expositions, incroyable coque de béton construite par Pier Luigi Nervi en 1947.
Est-ce le symbole d’un monde lointain, une modernité rêvée qui s’effrite et semble menacée d’être détruite ?
Est-ce en même temps le symbole d’une renaissance puisque, suite à un hasardeux accident, le monument va finalement être restauré et sauvé ?

Une double résurgence
Chez Célia Houdart les architectures sont des personnages à part entière. La villa ouverte et lumineuse d’Eileen Gray met la vie en mouvement, et remet Gréco au présent. Le Palais des Expositions de Pier Luigi Nervi est peut être alors un double inconscient de Gréco, une architecture en fin de vie qui, par accident, revit.

Tout un monde lointain
Célia Houdart
« Un été à Roquebrune-Cap-Martin, deux jeunes gens, Louison et Tessa, entrent clandestinement dans la villa E.1027, la villa blanche conçue par l’architecte et designer irlandaise Eileen Gray. Gréco, une femme âgée, décoratrice, veille avec un soin amoureux sur cet endroit. Un jour, elle y surprend les deux jeunes squatteurs, danseurs au style néo-hippie. Gréco est aussi sobre et pudique qu’eux sont sensuels, dénudés et volcaniques. Ils s’opposent, s’apprivoisent. Ce roman est l’histoire de leur rencontre. »
http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=livre&ISBN=978-2-8180-4229-8
Pour en savoir plus sur la Villa E1027, son histoire et ses visites :
Petite précision
Les citations et références à Eileen Gray sont principalement issues de la préface de Michel Raynaud pour le livre de Brigitte Loye, Eileen Gray, architecture design, paru en 1984 aux éditions Analeph/J.P. Viguier
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